Secrétariat canadien des avis scientifiques (SCAS) Document de recherche 2024/062 Région du Québec Septembre 2024 Évaluation du potentiel de rétablissement du béluga (Delphinapterus leucas) de l’estuaire du Saint-Laurent Véronique Lesage1, Valérie Harvey1, M. Tim Tinker2, Anne P. St-Pierre1, Florian Aulanier1, Stéphane Lair3, Mike Hammill1, Yvan Simard1, Tanya Brown4, Arnaud Mosnier1, Ève Rioux1, Jory Cabrol1, Jean-François Gosselin1 1Pêches et Océans Canada Institut Maurice-Lamontagne 850 Route de la Mer Mont-Joli, QC G5H 3Z4 2Nhydra Ecological Consulting 11 Parklea Drive Head of St. Margarets Bay NS B3Z 2G6 3Centre québécois sur la santé des animaux sauvages / Canadian Wildlife Health Cooperative Faculté de médecine vétérinaire Université de Montréal 3200 rue Sicotte St. Hyacinthe, QC J2S 2M2 4Fisheries and Oceans Canada Pacific Science Enterprise Centre 4160 Marine Drive West Vancouver, BC V7V 1H2 Avant-propos La présente série documente les fondements scientifiques des évaluations des ressources et des écosystèmes aquatiques du Canada. Elle traite des problèmes courants selon les échéanciers dictés. Les documents qu’elle contient ne doivent pas être considérés comme des énoncés définitifs sur les sujets traités, mais plutôt comme des rapports d’étape sur les études en cours. Publié par : Pêches et Océans Canada Secrétariat canadien des avis scientifiques 200, rue Kent Ottawa (Ontario) K1A 0E6 http://www.dfo-mpo.gc.ca/csas-sccs/ csas-sccs@dfo-mpo.gc.ca © Sa Majesté le Roi du chef du Canada, représenté par le ministre du ministère des Pêches et des Océans, 2024 ISSN 2292-4272 ISBN 978-0-660-73125-4 N° cat. Fs70-5/2024-062F-PDF La présente publication doit être citée comme suit : Lesage, V., Harvey, V., Tinker, M.T., St-Pierre, A.P., Aulanier, F., Lair, S., Hammill, M., Simard, Y., Brown, T., Mosnier, A., Rioux, È., Cabrol, J., Gosselin, J.-F. 2024. Évaluation du potentiel de rétablissement du béluga (Delphinapterus leucas) de l’estuaire du Saint- Laurent. Secr. can. des avis sci. du MPO. Doc. de rech. 2024/062. iv + 69 p. Also available in English : Lesage, V., Harvey, V., Tinker, M.T., St-Pierre, A.P., Aulanier, F., Lair, S., Hammill, M., Simard, Y., Brown, T., Mosnier, A., Rioux, È., Cabrol, J., Gosselin, J.-F. 2024. Recovery Potential Assessment for the St. Lawrence Estuary Beluga (Delphinapterus leucas) Population. DFO Can. Sci. Advis. Sec. Res. Doc. 2024/062. iv + 63 p. http://www.dfo-mpo.gc.ca/csas-sccs/ mailto:csas-sccs@dfo-mpo.gc.ca iii TABLE DES MATIÈRES RÉSUMÉ ...................................................................................................................................... iv INTRODUCTION .......................................................................................................................... 1 ÉVALUATION ............................................................................................................................... 2 ÉLÉMENTS 2 ET 3 : ABONDANCE ET PARAMÈTRES DU CYCLE BIOLOGIQUE DE LA POPULATION .......................................................................................................................... 2 Avant les années 1980 .......................................................................................................... 2 Après les années 1980 ......................................................................................................... 2 ÉLÉMENTS 4, 5 ET 6 : RÉPARTITION, HABITAT IMPORTANT ET PROPRIÉTÉS .............. 4 Répartition globale ................................................................................................................ 4 Besoins en matière d’habitat ............................................................................................... 15 Étendue spatiale de l’habitat important ............................................................................... 19 Fonctions, caractéristiques et paramètres de l’habitat important ........................................ 21 ÉLÉMENTS 8, 9, 10 ET 11 : MENACES ET FACTEURS LIMITATIFS ................................. 25 Menaces .............................................................................................................................. 27 Facteurs limitatifs ................................................................................................................ 36 Menaces pour les espèces coexistantes ............................................................................ 38 ÉLÉMENTS 12, 13, 14 ET 15 : OBJECTIFS DE RÉTABLISSEMENT ET CALENDRIER DE RÉTABLISSEMENT ............................................................................................................... 39 Abondance et capacité de charge (K) historiques .............................................................. 39 Projections de la population ................................................................................................ 39 Objectifs d’abondance et de répartition proposés ............................................................... 43 ÉLÉMENTS 16, 17, 19, 20 ET 21 : SCÉNARIOS D’ATTÉNUATION DES MENACES ET ACTIVITÉS DE RECHANGE ................................................................................................. 43 ÉLÉMENT 22 : ÉVALUATION DES DOMMAGES ADMISSIBLES ........................................ 49 REMERCIEMENTS .................................................................................................................... 49 RÉFÉRENCES CITÉES ............................................................................................................. 49 LISTE DES PARTICIPANTS ...................................................................................................... 68 iv RÉSUMÉ La population de bélugas (Delphinapterus leucas) de l’estuaire du Saint-Laurent (ESL) se trouve à la limite la plus au sud de la répartition de l’espèce et est une population relicte de la glaciation du Wisconsin. Bien que son abondance historique soit très incertaine, elle dépassait fort probablement les 10 000 individus. Cependant, la capacité de charge effective du béluga de l’ESL a fondamentalement changé par rapport aux niveaux historiques et est estimée, dans les conditions actuelles, à 6 700 bélugas (intervalle de crédibilité [IC] à 95 % = 4 300 à 10 400). L’abondance en 2022 a été estimée le plus probablement (IC à 95 %) entre 1 500 et 2 200 individus, avec une estimation ponctuelle de 1 850 bélugas, ce qui place la population dans la zone de prudence selon le Cadre de précaution du MPO. Les températures moyennes dans le golfe du Saint-Laurent de 2010 à 2022 ont augmenté de trois quarts de degré Celsius par rapport à la moyenne de 1970 à 2009. En supposant un réchauffement supplémentaire de 0,5 degré Celsius des températures dans le golfe au cours des 100 prochaines années et la poursuite de la variation naturelle sans changement (positif ou négatif) des autres facteurs de la mortalité, les projections indiquent un faible risque (0,3 %) de quasi-extinction (réduction à 50 individus), une probabilité de 13 % que la population atteigne la zone saine (au moins 3 219 individus) dans les 100 prochaines années et une probabilité de 61 % qu’elle tombe dans la zone critique (moins de 1 609 individus). Ces résultats suggèrent que le rétablissement est théoriquement possible et qu’il l’est encore plus si l’on parvient à atténuer certaines des menaces actuelles qui pèsent sur la population, comme les facteurs qui entraînent une augmentation de la mortalité liée à la gestation et de la mortalité des baleineaux. Les effets nocifs admissibles des agents de stress d’origine humaine sont estimés à 3,4 bélugas par année selon l’approche du prélèvement biologique potentiel. Les données historiques et contemporaines indiquent que la répartition des bélugas de l’ESL est la plus limitée pendant l’été et la plus étendue au printemps, lorsqu’une portion de la population est encore dans le nord-ouest du golfe du Saint-Laurent, mais que l’essentiel de la répartition demeure toute l’année dans l’ESL. Les données étaient suffisantes pour déterminer l’habitat important l’été (de juin à octobre) et l’hiver (de janvier à mars) pour la population, mais insuffisantes pour le printemps et l’automne. Les fonctions n’ont pu être attribuées à des emplacements précis dans l’aire de répartition saisonnière et, pour la plupart des caractéristiques, les données sont également insuffisantes pour appuyer les paramètres quantitatifs. 1 INTRODUCTION La population de bélugas (Delphinapterus leucas) de l’estuaire du Saint-Laurent (ESL) se trouve à la limite la plus au sud de la répartition de l’espèce (O’Corry-Crowe 2018) et constitue une population relicte de la glaciation du Wisconsin (Harington 2008). Des siècles d’exploitation intense avaient réduit la population à une estimation de quelques centaines d’individus à la fin des années 1970 (Pippard et Malcolm 1978; Sergeant et Hoek 1988; Kingsley 1998). À la lumière de cette information, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) a désigné le béluga de l’ESL comme étant « en voie de disparition » en 1983 (Pippard 1985). Les préoccupations entourant le déclin de la population ont déclenché la mise en œuvre d’une série de programmes, rigoureusement maintenus au fil du temps, afin de surveiller la santé, la démographie et la dynamique de la population (examen dans Lesage et al. 2014a; Lair et al. 2015, 2016; Mosnier et al. 2015; St-Pierre et al. 2024; Tinker et al. 2024). Cet ensemble de données à plusieurs volets est l’un des plus longs pour un cétacé, ce qui fait du béluga de l’ESL la population de bélugas la mieux surveillée (Norman et al. 2022) et l’une des populations de cétacés les mieux surveillées au monde. La population de bélugas de l’ESL a été réévaluée à plusieurs reprises par le COSEPAC depuis 1983. Bien que le statut attribué « en voie de disparition » en 1983 ait été réaffirmé en 1997 (Lesage et Kingsley 1998), il est passé à « menacée » en 2004 en raison de nouveaux critères d’inscription (COSEPAC 2004). Cependant, à la suite d’une diminution documentée de l’abondance dans les années 2000, accompagnée d’un taux de mortalité élevé des veaux, le COSEPAC a rétabli le statut de la population à « en voie de disparition » en 2014 (COSEPAC 2014). Habituellement, une fois que le COSEPAC a évalué une espèce comme étant menacée, en voie de disparition ou disparue du pays, Pêches et Océans Canada (MPO) entreprend un certain nombre de mesures qui nécessitent des renseignements scientifiques sur la situation actuelle de la population, les menaces pesant sur sa survie et son rétablissement, et la faisabilité du rétablissement. Ces renseignements sont généralement résumés dans une évaluation du potentiel de rétablissement (EPR), réalisée peu après l’évaluation du COSEPAC. Une EPR a été menée en 2005 à la suite de l’évaluation de 2004 du COSEPAC, et a établi des cibles de rétablissement pour la taille et la répartition de la population (Lawson et al. 2006). Les objectifs de rétablissement étaient d’atteindre 7 070 individus, soit 70 % de la taille historique de la population (10 000 bélugas), et que la population réoccupe l’ensemble de l’habitat décrit par Vladykov (1944) dans l’ESL et le nord du golfe du Saint-Laurent (GSL). Toutefois, dans une analyse récente, l’objectif de rétablissement relatif à la taille de la population de 7 070 individus a été jugé irréaliste (Williams et al. 2021). De plus, bien que l’habitat essentiel ait été désigné en 2012 dans le cadre du programme de rétablissement du béluga de l’ESL, les limites étaient fondées sur les données acquises de juin à octobre et, par conséquent, provenaient en grande partie des mois d’été. La Direction des sciences du MPO a été chargée d’entreprendre une nouvelle EPR étant donné le changement de statut de la population depuis l’EPR de 2005 et l’acquisition de renseignements récents sur l’abondance et les tendances de la population, les menaces et l’utilisation de l’habitat en dehors de l’été. L’EPR actuelle a été élaborée conformément aux lignes directrices nationales sur l’EPR (MPO 2007; 2014a; ECCC 2020; 2022) et servira de base à la mise à jour du programme de rétablissement du béluga de l’ESL, qui doit être renouvelé. Bien que les lignes directrices nationales sur l’EPR comportent 22 éléments (MPO 2014a), les éléments 1, 7, 18 et 21 ne seront pas abordés dans le cadre du processus d’EPR : 2 • Élément 1 sur la biologie et l’écologie de l’espèce : des renseignements à jour sont déjà disponibles dans la documentation (p. ex. COSEPAC 2014; Lesage 2021). • Élément 7 sur la détermination et la description de la résidence : ce concept ne s’applique pas aux cétacés. • Élément 18 sur la faisabilité de la restauration de l’habitat : cet élément n’est pas requis pour planifier le rétablissement du béluga de l’ESL. • Élément 21 sur les valeurs des paramètres pour évaluer les répercussions économiques, sociales et culturelles à l’appui du processus d’inscription; cet élément n’est pas requis pour planifier le rétablissement du béluga de l’ESL. ÉVALUATION ÉLÉMENTS 2 ET 3 : ABONDANCE ET PARAMÈTRES DU CYCLE BIOLOGIQUE DE LA POPULATION La dynamique, l’abondance et les tendances de la population de bélugas de l’ESL ont été évaluées à l’aide d’un modèle intégré ajusté aux estimations de l’abondance et de plusieurs autres sources d’information couvrant 30 à 40 ans (voir Tinker et al. 2024). Les principales sources de données étaient des relevés historiques des prises, des estimations de l’abondance à partir de relevés photographiques et aériens visuels, des données sur la structure selon l’âge ou le stade biologique tirées de relevés aériens et de relevés à partir d’embarcations, des données sur l’âge au moment de la mort provenant des enregistrements des carcasses échouées, des données sur la cause du décès d’après la nécropsie des carcasses et les corrélations environnementales de la survie des veaux. Ce modèle de population complet a permis de mettre en évidence plusieurs processus sous-jacents aux tendances de la population de bélugas de l’ESL et a fourni une mesure plus réaliste du niveau d’incertitude associé à la dynamique de la population. Avant les années 1980 Le modèle indiquait que l’abondance historique, en utilisant 1865 comme année de référence, se situait probablement entre 12 400 et 17 400 bélugas. Cependant, l’abondance a diminué considérablement le siècle suivant pour tomber entre 1 500 et 1 600 individus à la fin des années 1970. L’augmentation de la mortalité due à la récolte a été le principal facteur du déclin observé (Reeves et Mitchell 1984). Cependant, d’autres facteurs contributifs étaient en jeu, comme des réductions de la reproduction dépendantes de la densité et des augmentations de la mortalité des veaux, probablement associées à la dégradation de l’habitat, ainsi que des hausses de la mortalité des adultes, indépendantes de la densité et reflétant la pollution accrue et d’autres impacts environnementaux. Ces facteurs sont probablement responsables de l’absence de rétablissement de la population après l’interdiction de la récolte à la fin des années 1970. Après les années 1980 Une tendance démographique fluctuante, mais généralement stable, a été estimée entre 1980 et 2000, probablement due aux taux de survie variables de toutes les classes d’âge et de sexe. À l’instar de l’évaluation de la population de 2012 (MPO 2014b), le modèle actuel indique que les taux de survie sont devenus encore plus variables après 2000, plusieurs creux de la survie (en particulier pour les veaux et les animaux d’un an) entraînant un déclin de l’abondance jusqu’en 2007. Une augmentation de la survie des adultes plus âgés, résultant au moins en 3 partie d’une réduction des taux des cancers, s’est traduite par une légère augmentation de la population entre 2010 et 2018. Toutefois, le taux de survie des veaux, demeuré plus faible depuis 2010, combiné à une mortalité plus élevée des femelles adultes attribuable à une augmentation de la mortalité liée à la gestation, a eu une incidence sur le recrutement ces dernières années. Ces sources de mortalité continueront probablement de limiter le rétablissement de la population à l’avenir. Bien que l’incertitude soit toujours plus grande vers la fin d’une série chronologique, le déclin continu de la survie des veaux et des femelles gestantes, combiné à une hausse plus récente de la mortalité de toutes les classes d’âge adulte après 2018, semble avoir causé une stabilisation des tendances de l’abondance depuis environ 2018 (figure 1). Des relevés aériens supplémentaires et d’autres données seront nécessaires pour préciser les tendances récentes. Le modèle a estimé que l’abondance était le plus probablement (intervalle crédible à 95 %, arrondi à la centaine près) comprise entre 1 500 et 2 200 individus en 2022, avec une estimation ponctuelle de 1 850 bélugas. Une analyse de sensibilité indique que les ensembles de données qui ont le plus d’influence sur les résultats du modèle sont les données sur la structure par âge du programme de surveillance des carcasses, la proportion de veaux de 0 à 1 an sur les photographies aériennes et les estimations photographiques de l’abondance. La grande variance associée aux relevés visuels a limité l’influence de cette série chronologique sur les résultats du modèle. Un affinement des calculs de l’estimation de l’abondance pourrait aider à préciser les tendances de la population. Figure 1. Tendances estimées de l’abondance à partir d’un modèle intégré de population ajusté aux données sur la population de bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent (Tinker et al. 2024). La ligne pleine représente l’abondance annuelle moyenne estimée par le modèle et la bande ombrée indique l’incertitude (intervalle crédible à 95 %) de ces estimations. Les points représentent les estimations de l’abondance fondées sur des relevés photographiques aériens (en noir) et des relevés visuels aériens (en rouge), et les barres d’erreur connexes représentent l’intervalle crédible à 95 % autour de chaque estimation ponctuelle. Le nombre de répétitions des relevés au cours d’une année est indiqué au-dessus des barres d’erreur. 4 ÉLÉMENTS 4, 5 ET 6 : RÉPARTITION, HABITAT IMPORTANT ET PROPRIÉTÉS Les renseignements sur la répartition historique et récente du béluga de l’ESL, ainsi que sur l’habitat important et ses propriétés, ont été examinés en détail (Mosnier et al. 2010) dans le contexte du programme de rétablissement de 2012 (MPO 2012). Bien que l’information ait été jugée suffisante pour procéder à une désignation partielle de l’habitat essentiel du béluga dans le programme de rétablissement, cette dernière était fondée sur des données recueillies de juin à octobre et, par conséquent, en grande partie pendant les mois d’été. Les fonctions de l’habitat essentiel, ainsi que leurs caractéristiques et leurs paramètres, n’ont été définies que de façon générale dans le programme de rétablissement, car elles reposaient sur des renseignements fragmentaires (voir Mosnier et al. 2010). La section qui suit fait le point sur la répartition saisonnière des bélugas de l’ESL et des habitats jugés importants pour cette population, notamment les fonctions, les caractéristiques et les paramètres de ces habitats. Cette évaluation a été effectuée en intégrant les renseignements récemment acquis, y compris pour les périodes en dehors de l’été. Répartition globale Dans les années 1930, des bélugas ont été signalés aussi loin à l’ouest qu’en amont de Québec, jusqu’à Chicoutimi dans la rivière Saguenay (14 km à l’ouest de St-Fulgence) et dans le GSL au moins aussi loin à l’est qu’à Natashquan (Basse-Côte-Nord) et dans la baie des Chaleurs (Vladykov 1944; figure 2). Dans les dernières décennies, le béluga n’a été observé que rarement dans la partie fluviale du Saint-Laurent ou en amont de St-Fulgence. Sa répartition est maintenant considérée comme limitée aux eaux en aval des Battures aux Loups Marins dans l’ESL et en aval de St-Fulgence dans la rivière Saguenay (Gosselin et al. 2017; St- Pierre et al. 2024; Harvey et al. in prep.1). La limite est de la répartition du béluga de l’ESL a été, et demeure, difficile à définir, bien que tous les enregistrements concordent pour dire qu’elle s’étend dans le GSL. Plus précisément, les évaluations réalisées dans les années 1930 et en 2010 indiquaient une répartition débordant de manière saisonnière de l’ESL dans le nord du GSL (figure 2a; Vladykov 1944; Mosnier et al. 2010). Cependant, la répartition dans le GSL a été décrite comme fortement côtière et continue le long de la côte nord du Québec et de la péninsule gaspésienne (de Cloridorme à la baie des Chaleurs), avec une absence apparente des bélugas dans les eaux du large (figure 2a; Mosnier et al. 2010). Cette conclusion découle probablement des éléments suivants : 1) l’absence de relevés systématiques historiques ou contemporains dans les eaux du large dans le nord du GSL en dehors de l’été (Mosnier et al. 2010); et 2) le fait que les données historiques étaient également fortement biaisées vers la côte, car elles étaient fondées sur la connaissance des marins, les données sur les prises et les visites dans les collectivités de l’ESL et du nord du GSL (Vladykov 1944). Depuis 2012, cependant, des relevés systématiques par transect linéaire ont été effectués à répétition dans tout le nord-ouest du GSL, y compris dans les eaux du large, au printemps, à l’automne et en hiver. Ces relevés, combinés aux observations anecdotiques de diverses sources (figure 3), ont confirmé la présence de bélugas dans tout le nord-ouest du GSL au printemps, à l’automne et en hiver. Un enregistreur acoustique installé le long de la côte nord du Québec près de Sept-Îles (voir la figure 2) confirme également cette conclusion, ayant détecté des vocalisations de bélugas dans cette région du milieu de l’automne au début du printemps ces dernières années (Simard et al. 2023). Étant donné que l’aire de répartition d’une 1 Harvey, V., Mosnier, A., St-Pierre, A.P. Lesage, V. Gosselin, J.-F. En préparation. Seasonal Variation in Distribution and Abundance of St Lawrence Estuary Beluga (Delphinapterus leucas) Within the Assumed Annual Range. DFO Can. Sci. Advis. Sec. Res. Doc. 5 espèce devrait diminuer et non augmenter lorsque la taille de sa population diminue, il est probable que le béluga ait également été observé dans toute cette région par le passé, et pas seulement dans les zones côtières, comme indiqué précédemment (Vladykov 1944). Les rapports d’observations anecdotiques tirés de la documentation et de sources plus contemporaines n’appuient pas la présence régulière d’un nombre important de bélugas dans d’autres parties du GSL, quelle que soit la saison (figure 3; Vladykov 1944; Sergeant et Brodie 1969; Sergeant et al. 1970; Reeves et Katona 1980; Curren et Lien 1998; Reeves et Mitchell 1984; Pippard 1985; Michaud et al. 1990). Ces rapports anecdotiques sont toutefois incomplets (p. ex. très faible couverture en hiver et dans l’est du golfe) et ne sont pas corrigés en fonction de l’effort; il convient donc de les interpréter avec prudence. Figure 2. Répartition annuelle et cœur de la distribution du béluga de l’ESL. La répartition historique des années 1930 est tirée de Vladykov (1944). La répartition en 2010 a été définie en fonction des renseignements disponibles lors de la dernière évaluation de l’habitat important pour cette population (Mosnier et al. 2010). 6 Figure 3. Observations opportunistes lors de relevés aériens et à bord de navires du MPO et d’autres sources compilées principalement de 2013 à 2023 par le Réseau d’Observation des Mammifères Marins (ROMM), le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), la Marine Animal Response Society (MARS) et le MPO, pour les périodes de juin à octobre (panneau supérieur), et pour le printemps, l’automne et l’hiver (panneau inférieur) : d’avril à mai (en bleu pâle), en novembre et décembre (en orange) et de janvier à mars (en bleu foncé). Toutes les sources de données possibles n’ont pas été incluses ici; par conséquent, cette représentation est incomplète. 7 Le béluga a toujours été et est encore signalé dans les eaux de Terre-Neuve-et-Labrador (Curren et Lien 1998; J. Lawson, MPO, données non publiées). Il l’est également à l’occasion hors du GSL, en Nouvelle-Écosse et dans les eaux de l’est des États-Unis (figure 3; voir aussi Reeves et Katona 1980; Michaud et al. 1990; R. Michaud [GREMM], données non publiées). Étant donné que certaines des populations de bélugas du nord hivernent dans le sud du Labrador (Bailleul et al. 2012), des afflux sporadiques d’individus de l’Arctique dans les eaux de Terre-Neuve et du GSL sont très probables et ont parfois été soupçonnés (voir p. ex. Vladykov 1944). Cependant, la diversité particulièrement faible des haplotypes documentée chez les bélugas de l’ESL donne à penser que l’immigration des baleines de l’Arctique est demeurée rare (COSEPAC 2016; Postma 2017). De récentes analyses génétiques, de contaminants et par identification photographique indiquent que les bélugas observés dans la partie est du GSL et dans les eaux de Terre-Neuve et du Labrador viennent plus probablement de l’Arctique; ceux qui sont observés dans la partie sud du GSL, en Nouvelle-Écosse et dans les eaux de l’est des États-Unis ont plus de chances d’être des bélugas errants de l’ESL, ayant peut-être suivi les courants de Gaspé et du Labrador (Sergeant et Brodie 1969; R. Michaud, T. Frasier et V. Lesage, données non publiées; Béland et al. 1990a). Déplacements et répartition saisonniers L’étendue des déplacements saisonniers varie considérablement entre les populations de bélugas du monde entier, certaines migrant sur plus de mille kilomètres de façon saisonnière, alors que d’autres ne parcourent que des distances limitées (Suydam et al. 2001, Hobbs et al. 2005; Richard et Stewart 2008; Lewis et al. 2009). Ces différences sont probablement attribuables à la couverture de glace, à la disponibilité des proies et au risque de prédation. Compte tenu de la variabilité du climat et du réchauffement planétaire, on peut s’attendre à relever une certaine variabilité interannuelle et des tendances à long terme dans les habitudes migratoires pour une population donnée de bélugas. On note également des signes qu’une hausse de la température de la surface de la mer pourrait avoir une incidence sur la dynamique spatio-comportementale des bélugas en réduisant la fréquence des regroupements (Rivas et al. 2024). Tableau 1. Proportion relative de bélugas (en %) utilisant différents secteurs de l’estuaire du Saint- Laurent et du golfe du Saint-Laurent, notamment la rivière Saguenay, selon les estimations des relevés aériens saisonniers. Les secteurs sont définis dans Simard et al. (2023) et Harvey et al. (en prép.1) : amont (des Battures aux Loups Marins à l’île Blanche), centre (de l’île Blanche aux Escoumins / Saint- Simon), aval (de Saint-Simon / Les Escoumins à Bic / Portneuf-sur-Mer), nord-ouest du golfe (est de Pointe-des-Monts / Les Méchins), rivière Saguenay (la rivière, à l’exclusion de son embouchure). Les saisons vont de la mi-juillet au début septembre (été), de la mi-novembre à la mi-décembre (automne), de la mi-janvier à mars (hiver) et début mai (printemps). Saison Amont Centre Aval Bic/Portneuf à Colombier/ Rimouski Colombier/ Rimouski à Pointe-des- Monts/Les Méchins Nord-ouest du golfe Rivière Saguenay Été 1990-2022 35,4 ± 12,7 37,1 ± 14,3 13,7 ± 11,1 4,5 ± 8,0 7,1 ± 0,3 - 1,7 ± 0,6 1990-2009 37,4 ± 9,4 38,4 ± 12,9 12,7 ± 9,2 3,8 ± 8,2 6,5 ± 11,0 - 1,2 ± 0,8 2014-2022 32,9 ± 16,8 36,0 ± 16,8 15,5 ± 13,7 5,9 ± 7,8 7,2 ± 11,9 - 2,4 ± 3,4 Automne 20,5 ± 19,8 20,9 ± 19,1 24,9 ± 14,8 9,1 ± 10,1 10,3 ± 14,5 14,4 ± 16,7 0,0 ± 0,0 Hiver 3,7 ± 4,3 13,3 ± 11,9 17,1 ± 14,1 12,6 ± 9,4 21,4 ± 13,7 31,8 ± 28,4 0,0 ± 0,0 Printemps 33,2 ± 24,1 9,4 ± 10,6 21,5 ± 17,0 16,7 ± 18,6 16,9 ± 15,5 2,1 ± 4,7 0,1 ± 0,2 8 La population de bélugas de l’ESL n’entreprend que des déplacements saisonniers limités, passant généralement vers l’est à l’automne et revenant vers l’ouest au printemps. La surveillance à long terme de la répartition des bélugas au moyen de relevés aériens effectués principalement de la mi-juillet au début du mois de septembre, ainsi que la surveillance acoustique passive tout au long de l’année, confirment que la répartition est centrée sur la rivière Saguenay en été (figures 2 et 4; Gosselin et al. 2014; Simard et al. 2023; Harvey et al. en préparation1). Par le passé, un grand nombre de bélugas utilisaient les eaux au large des côtes de Manicouagan et de la rivière Betsiamites voisine, ce qui a contribué à étendre l’aire de répartition estivale (figure 2; Vladykov 1944). Les données des relevés récents indiquent que le béluga est toujours présent dans cette région, mais de façon plus occasionnelle (Harvey et al. en préparation1). Dans l’ensemble, ces observations réduisent la répartition estivale principale actuelle par rapport à ce qu’elle était par le passé (figure 2b). Selon les données acoustiques, la majorité de la population (de 55 à 57 %) se trouve dans la partie centrale de l’ESL (de l’île Blanche à Saint-Simon / Les Escoumins) en été, avec environ 18 % dans le secteur amont (jusqu’aux Battures aux Loups Marins) et 25 % dans le secteur aval situé entre Saint-Simon / Les Escoumins et Bic / Portneuf (Simard et al. 2023; voir les noms de lieux sur la figure 4). Il convient de noter que l’étude acoustique ne tient pas compte de la proportion de baleines qui utilisent la rivière Saguenay. Comparativement aux données acoustiques, les relevés aériens estiment qu’une plus faible proportion de la population (37 %) utilise la partie centrale de l’ESL, avec 35 % des bélugas dans le secteur amont et 14 % dans le secteur aval (25 % si on inclut le secteur est de l’ESL, non couvert dans Simard et al. 2023; tableau 1). Les relevés aériens estiment qu’environ 2 % des bélugas utilisent la rivière Saguenay pendant l’été. Cependant, les relevés aériens fournissent une vue instantanée de la répartition et, par conséquent, ont tendance à sous-estimer l’utilisation de l’habitat, car ils ne tiennent pas compte du roulement des utilisateurs dans un secteur donné. D’après les estimations de l’utilisation de l’habitat fondées sur un ensemble de données d’observation à long terme, la rivière Saguenay pourrait en fait être utilisée, plus ou moins régulièrement, par au moins 37 % de la population (Ouellet et al. 2021; Bonnell et al. 2024). Le béluga est présent dans la rivière Saguenay tout au long de l’année. Les données des relevés, les observations terrestres et les données acoustiques passives indiquent une lente augmentation de la présence des bélugas dans les environs de baie Sainte-Marguerite à compter de juin et une diminution en octobre (figure 5; Harvey et al. en préparation1; Conversano et al. 2017; Simard et al. 2023). Ces observations permettent de penser que l’utilisation du cours supérieur de la rivière Saguenay (au-delà du cap de la Boule) culmine en été. Bien que des bélugas soient encore détectés visuellement et acoustiquement à l’occasion dans le cours supérieur de la rivière Saguenay entre novembre et mai, la plupart des détections pendant les relevés d’automne, d’hiver et de printemps se produisent dans le cours inférieur de la rivière Saguenay (en aval du cap de la Boule; relevés aériens seulement, puisqu’il n’y avait pas d’enregistreur acoustique dans ce secteur; figure 5). L’état des glaces n’est pas aussi rigoureux dans le cours inférieur de la rivière Saguenay que dans le cours supérieur, ce qui pourrait expliquer l’utilisation continue de cette zone par les bélugas d’une saison à l’autre, apparemment en partie pour se nourrir. La présence de bélugas dans le cours inférieur de la rivière Saguenay est également conforme aux rapports historiques et récents sur leur présence régulière à l’embouchure de la rivière et à proximité de celle-ci pendant l’hiver (Vladykov 1944; Boivin et INESL 1990; Michaud et al. 1990; Harvey et al. en prép.1). 9 Figure 4. Habitat important pour le béluga de l’ESL entre juin et octobre (contour noir). L’identification est fondée sur les meilleures données disponibles, y compris une analyse des noyaux de 64 relevés aériens systématiques (de 1990 à 2022; Harvey et al. en prép.1), des relevés systématiques à partir d’embarcation du MPO (de 2010 à 2023; voir p. ex. Mosnier et al. 2022), des observations opportunistes de diverses sources (voir la liste à la figure 3) et des stations de surveillance acoustique passive (Simard et al. 2023). Voir les autres sources d’information dans le texte. L’utilisation saisonnière de la rivière Saguenay est présentée à la figure 5. 10 Figure 5. Présence saisonnière des bélugas de l’ESL dans la rivière Saguenay, d’après les relevés visuels et photographiques du MPO (Harvey et al. en prép.1). Les données sont représentées par les observations (panneaux de gauche; il peut y avoir plus d’un animal par observation) et par les densités relatives selon la distance par rapport à l’embouchure de la rivière Saguenay (panneau de droite). Il convient de noter qu’en raison de l’étroitesse de la rivière Saguenay, les points représentent la position de l’avion du relevé et non celle du béluga. 11 La comparaison des répartitions estivales pour les périodes de 1990 à 2009 et de 2014 à 2022 indique une augmentation récente d’environ 6 % de l’utilisation du secteur de l’ESL en aval de l’embouchure de la rivière Saguenay, c.-à-d. l'estuaire maritime, et plus précisément les habitats situés en aval des Escoumins / Saint-Simon (Harvey et al. en prép.1; tableau 1). Les groupes de femelles adultes accompagnées de leur veau semblent être au moins partiellement responsables de cette nouvelle répartition récente des animaux dans l’aire de répartition estivale (voir Harvey et al. en prép.1). Dans l’ensemble, cependant, l’étendue de la répartition estivale demeure inchangée par rapport à la dernière évaluation, la répartition étant toujours centrée sur la rivière Saguenay et les bélugas continuant d’utiliser des habitats dans la partie amont de leur aire de répartition, bien qu’ils exploitent maintenant plus intensivement les habitats qui sont dans la partie aval de leur aire de répartition estivale (figure 5). Les déplacements automnaux sont généralement orientés vers l’est, même si, historiquement, certains ont été documentés en direction opposée et en remontant la rivière Saguenay, peut- être en réaction aux migrations de l’anguille d’Amérique (Anguilla rostrata) (Vladykov 1944). Aucun déplacement de ce genre n’a été signalé récemment. Les études des années 1980, la surveillance acoustique et les relevés saisonniers les plus récents laissent croire que ce déplacement vers l’est commence en octobre. En novembre, les données acoustiques et des relevés indiquent que la majorité des bélugas ont quitté l'estuaire moyen, c’est-à-dire le secteur de l’ESL à l’ouest de l’embouchure de la rivière Saguenay (figures 6 et 7; Harvey et al. en prép.1; Simard et al. 2023), une région où la couverture de glace peut être presque complète pendant les hivers froids (Sears et Williamson 1982; Boivin et INESL 1990). Néanmoins, des données récentes montrent que le béluga persiste à utiliser l'estuaire moyen à la fois à l’automne et tout au long de l’hiver (figure 8; Harvey et al. en prép.1; Simard et al. 2023). On ne peut vérifier si cette persistance est rendue possible par la diminution récente de la couverture de glace associée au réchauffement des températures ou si elle est une caractéristique historique de la population, indépendante du climat. Avec le déplacement automnal vers l’est, la majorité de la population (64 %) occupe l’estuaire maritime, entre l’embouchure de la rivière Saguenay et Pointe-des-Monts / Sainte-Anne des Monts (figures 2 et 6), avec une augmentation notée de l’utilisation de la partie de l’estuaire maritime située en aval de l’aire de répartition estivale (Harvey et al. en prép.1). Ce déplacement est également confirmé par les données de la surveillance acoustique passive (station A; voir Simard et al. 2023). À l’automne, 14 % en moyenne de la population occupe le nord-ouest du GSL (tableau 1). La répartition en hiver est relativement semblable à celle observée à l’automne, bien que les bélugas soient détectés en moins grand nombre (5 % de la population) dans l’estuaire moyen que pendant l’été ou l’automne, et qu’ils occupent principalement la partie inférieure de ce secteur. Comme pendant la saison automnale, la plupart des bélugas (63 %) sont observés dans l’estuaire maritime pendant l’hiver, mais une plus grande proportion de la population (32 %) occupe le nord-ouest du GSL (figure 8). La surveillance acoustique indique que les bélugas retournent dans les habitats de l’estuaire moyen à partir de mars (Simard et al. 2023). À cette période de l’année, ils sont encore présents en grand nombre (36 %) dans la partie de l’estuaire maritime en aval de l’aire de répartition estivale, ainsi que dans le nord-ouest du GSL (figures 3, 6 et 7; voir aussi Michaud et al. 1990). L’estuaire moyen semble être particulièrement important pour le béluga en avril et en mai, de 36 à 50 % de la population l’occupant alors, selon la source des données (Simard et al. 2023; Harvey et al. en prép.1). Compte tenu de toutes les sources d’information disponibles (relevés aériens et par bateau systématiques et non systématiques, surveillance acoustique passive, rapports anecdotiques), les données historiques et contemporaines indiquent que la répartition des bélugas de l’ESL est la plus limitée en été (figure 4; Vladykov 1944; Michaud et Chadenet 1990; Mosnier et al. 2010; 12 Simard et al. 2023; Harvey et al. en prép.1). Les données disponibles confirment également que la répartition est la plus étendue au printemps, lorsqu’une partie de la population est toujours présente dans le nord-ouest du GSL et que certains individus commencent à retourner dans les habitats de la partie la plus en amont de l’ESL (figures 6 et 7). Ensemble, les résultats présentés sur les déplacements saisonniers et le degré d’occupation des divers secteurs indiquent que l’essentiel de la répartition des bélugas de l’ESL demeure à l’intérieur des limites de l’estuaire du Saint-Laurent toute l’année. Encore une fois, il est impossible de déterminer si la fraction de la population qui se déplace dans le nord du GSL est plus grande lorsque la couverture de glace est plus étendue, comme c’était le cas avant la fin des années 1990. Une incertitude persiste quant à la limite est de la répartition annuelle, mais la réduction de l’aire de répartition des bélugas de l’ESL à l’ouest dans l’ESL et dans la rivière Saguenay, combinée à la diminution de leur utilisation de la région de Manicouagan, dénote que la zone d’occupation actuelle est réduite par rapport à l’aire de répartition historique. Lors de la dernière évaluation, la zone d’occupation des bélugas de l’ESL était estimée à 20 628 km2, soit 65 % de la répartition définie à la fin des années 1930 (Mosnier et al. 2010; COSEPAC 2014). Cependant, l’information présentée ici indique que la zone d’occupation a été sous-estimée dans les années 1930 et dans l’évaluation de 2010 parce que les eaux du large du nord-ouest du GSL n’avaient pas été incluses, ce qui rend peu fiables les estimations du pourcentage de réduction de la zone d’occupation. 13 Figure 6. Répartition automnale (de novembre à décembre) et printanière (de janvier à mars) de la population de bélugas de l’ESL, d’après les meilleures données disponibles, y compris une analyse des noyaux des relevés aériens systématiques (de 2013 à 2022; Harvey et al. en prép.1), les relevés systématiques à partir d’embarcation du MPO (de 2010 à 2023, voir p. ex. Mosnier et al. 2022), les observations opportunistes de diverses sources (voir la liste à la figure 3) et la surveillance acoustique passive (Simard et al. 2023). Voir les autres sources d’information dans le texte. L’utilisation saisonnière de la rivière Saguenay est présentée à la figure 5. 14 Figure 7. Données acoustiques (médiane mensuelle de l’indice de l’occurrence des vocalisations horaires) pour l’habitat d’importance saisonnière à l’automne, à l’hiver et au printemps (d’octobre à juin). D’après Simard et al. (2023). 15 Figure 8. Habitat important pour le béluga de l’ESL entre janvier et mars (contour noir). Dans l’estuaire du Saint-Laurent, le contour de l’habitat important correspond à la strate principale couverte par les relevés aériens systématiques. Voir l’habitat important par rapport à la zone des relevés dans la rivière Saguenay à la figure 5. L’identification est fondée sur les meilleures données disponibles, y compris une analyse des noyaux de 21 relevés aériens systématiques (de 2013 à 2023; Harvey et al. en prép.1), les observations opportunistes de diverses sources (voir la liste à la figure 3) et la surveillance acoustique passive (Simard et al. 2023). Voir les autres sources d’information dans le texte. Besoins en matière d’habitat L’espèce Le béluga est une espèce très adaptée aux milieux froids et infestés par la glace, où la couverture en hiver peut atteindre 70 %, et parfois dépasser 90 % (Barber et al. 2001; Suydam et al. 2001). Bien que la glace soit une caractéristique de l’habitat du béluga, au moins de façon saisonnière, la fonction spécifique de la glace dans son cycle biologique est incertaine. La glace de mer peut servir d’abri contre les tempêtes ou les prédateurs (p. ex. Matthews et al. 2020) et pourrait fournir des ressources alimentaires compte tenu des processus qui se déroulent à la lisière des glaces. La glace peut également limiter l’occupation de l’habitat par des concurrents potentiels comme les oiseaux de mer ou d’autres espèces de mammifères marins, au moins de façon saisonnière. On ne sait pas si le béluga pourrait survivre et se reproduire dans un environnement exempt de glace, en supposant qu’il demeure froid. Un modèle d’habitat à une échelle grossière inférant la qualité de l’habitat dans l’ensemble de l’aire de répartition du béluga indique que certaines populations auront perdu leur habitat hivernal convenable d’ici 2100 (Skovrind et al. 2021). Le béluga utilise divers habitats de façon saisonnière et peut régulièrement plonger jusqu’à 500 ou 600 m, et jusqu’à 1 400 m ou plus dans certaines régions (p. ex. Storrie et al. 2022). Pendant l’été, les estuaires ou les embouchures des rivières sont une caractéristique importante de son habitat, car les individus de plusieurs populations se regroupent près de ce type de caractéristique, parfois en grand nombre (p. ex. Sergeant et Brodie 1975; examen dans 16 Mosnier et al. 2010; voir aussi Whalen et al. 2020). On ne sait toujours pas avec certitude pourquoi les bélugas se regroupent dans les estuaires et le but n'est peut-être pas unique ou constant d’un site à l’autre (examen dans Mosnier et al. 2010). Les fonctions potentielles sont un avantage thermique pour les veaux, l’alimentation, la mue et l’évitement de la prédation (Kleinenberg et al. 1964; Tomilin 1967; Sergeant 1973; Fraker et al. 1979; Finley 1982; St. Aubin et al. 1990; Frost et Lowry 1990; Watts et al. 1991; Boily 1995; Richard et al. 2001; mais voir Doidge 1990). L’espèce affiche une ségrégation selon le sexe et l’âge pendant l’été, les femelles et les juvéniles utilisant habituellement des eaux plus chaudes, moins profondes ou plus abritées que les mâles adultes (examen dans Michaud 2005; voir aussi Loseto et al. 2006). On ignore actuellement si cette ségrégation s’étend à d’autres saisons que l’été (voir Colbeck et al. 2013). Un aspect important de l’espèce qui a une incidence sur ses besoins en matière d’habitat est la forte philopatrie et la fidélité au site dont témoigne le béluga à l’emplacement où il est né ou à certaines aires d’estivage (Caron et Smith 1990; Smith et al. 1994; Turgeon et al. 2012, O’Corry-Crowe et al. 2018; Bonnell et al. 2022; 2024). Les voies migratoires semblent transmises culturellement des individus plus âgés aux plus jeunes (Brown Gladden et al. 1997; Palsbøll et al. 2002; Turgeon et al. 2012; Colbeck et al. 2013, O’Corry-Crowe et al. 2018; 2020). De ce fait, les habitats présentant des caractéristiques semblables ne sont pas nécessairement utilisés ou connus de tous les individus d’une population. Autrement dit, la détérioration ou la destruction d’un habitat ne sera peut-être pas compensée par la colonisation d’un habitat semblable ou nouveau ailleurs, même s’il est disponible (voir Wade et al. 2012). Les bélugas ont un régime alimentaire varié, composé d’espèces de poissons et d’invertébrés qui peuvent être benthiques ou pélagiques (p. ex. Kleinenberg et al. 1964; Seaman et al. 1982; Heide-Jorgensen et Teilmann 1994; Quakenbush et al. 2015). L’espèce est considérée comme opportuniste; plusieurs espèces sont souvent présentes simultanément dans leurs voies digestives. Cependant, les espèces importantes dans le régime alimentaire du béluga varient selon les populations et selon les saisons. Il convient également de noter que la période la plus importante pour l’alimentation et l’engraissement varie également entre les populations, probablement en raison de la disponibilité locale des proies. Étant donné que les proies ne sont pas toutes d’une qualité nutritionnelle semblable (voir Rosen 2009), quelques proies clés pourraient être cruciales pour l’engraissement et fournir l’énergie nécessaire pour donner naissance à un veau et réussir son sevrage (voir p. ex. la section sur les menaces). Les bélugas sont appelés « canaris des mers », car ils ont un répertoire vocal très varié (Sjare et Smith 1986a; Faucher 1988). Ils utilisent des sons comme des sifflements ou des claquements pour communiquer entre eux et des clics émis à des fréquences plus élevées pour naviguer et se nourrir (Sjare et Smith 1986b). Ils ont donc besoin d’un environnement acoustique qui permet non seulement de détecter les signaux, mais aussi de les discriminer et de les reconnaître, ainsi que de communiquer confortablement (Erbe et al. 2016). On pense aussi que les bélugas recourent à l’écoute passive pour localiser leurs congénères et naviguer dans leur habitat. On manque généralement d’études fournissant une définition de ce qui constitue un environnement acoustique adéquat ou des seuils au-delà desquels l’exposition au bruit entraîne des effets nocifs, pour les mammifères marins et même pour les humains (p. ex. Chen et Ma 2020; Southall et al. 2021). Bien qu’il existe une foule d’études sur les effets potentiels des niveaux sonores ambiants élevés sur le comportement des mammifères marins, les études démontrant ces effets ou définissant les niveaux de bruit là où les effets se produisent sont plus rares et leurs résultats sont incohérents (Richardson et al. 1995; Southall et al. 2021). Les réactions comportementales sont souvent propres au contexte, ce qui pose des difficultés d’interprétation ou de généralisation (Hatch et al. 2012; Gómez et al. 2016; Southall et al. 2021). Il est encore plus difficile de transposer les réactions comportementales 17 individuelles en effets mesurables empiriquement, ou même en prédictions modélisées des effets, sur l’efficacité de la recherche de nourriture, la santé ou la reproduction, au niveau de l’individu ou de la population (voir Pirotta et al. 2021; 2022; 2023; New et al. 2014). Les seuils au-dessus desquels le bruit peut causer des dommages auditifs, de façon temporaire ou permanente, sont mieux documentés, mais pas pour toutes les espèces et circonstances (voir Southall et al. 2007; 2019). La population de bélugas de l’ESL L’ESL, en particulier l’estuaire maritime (qui s’étend de l’embouchure de la rivière Saguenay à l’est jusqu’à Sainte-Anne-des-Monts/Les Méchins) et le nord-ouest du GSL, sont des zones très productives et offrent au béluga de l’ESL un environnement généralement froid toute l’année en raison des processus océanographiques locaux et des apports d’eaux froides riches en nutriments (Saucier et al. 2009). L’estuaire moyen offre des eaux particulièrement chaudes, peu profondes et saumâtres au béluga de l’ESL (Vladykov 1944; d’Anglejan et Smith 1973). L’ESL et le GSL sont couverts de glace saisonnière, ce qui peut avoir une incidence sur les déplacements des espèces proie du béluga et, par conséquent, pourrait réguler leur disponibilité pour le béluga (examen dans Mosnier et al. 2010). Néanmoins, compte tenu de la présence d’un grand nombre de phoques du Groenland (Pagophilus groenlandicus) dans l’estuaire maritime pendant l’hiver (Bailey et al. 1977; Anderson et Gagnon 1980; Murie et Lavigne 1991; Sergeant 1991), on peut penser que certaines proies, comme le capelan, demeurent abondantes dans la région tout au long de cette saison (voir Hammill et al. 2005). Dans l’ESL et le nord-ouest du GSL, la profondeur du fond marin ne dépasse pas 400 m. Le béluga de l’ESL peut ainsi facilement atteindre le fond et les proies qui s’y trouvent. Son régime alimentaire historique a été décrit en détail dans les années 1930 à partir des contenus stomacaux obtenus dans le cadre de la récolte de bélugas (Vladykov 1946). Toutefois, le régime alimentaire contemporain demeure difficile à déterminer à l’aide des outils actuellement disponibles (examen dans Lesage 2014; Lesage et al. 2020). En général, les petits poissons pélagiques comme le capelan et le lançon, ainsi que probablement le hareng et l’éperlan, peuvent avoir une importance saisonnière pour le béluga de l’ESL. Les espèces de poissons démersaux comme la morue, la merluche et, plus récemment, le sébaste, sont probablement aussi des proies importantes, au moins à la fin de l’été et à l’automne (voir Vladykov 1946; Lesage 2014; Lesage et al. 2020). Bien que les données demeurent rares, plusieurs sources de données tirées des dossiers historiques, ainsi que la période du vêlage, laissent entendre que l’alimentation printanière pourrait être cruciale pour la population de l’ESL (examen dans Mosnier et al. 2010; Lesage et al. 2020; Lesage 2021). À cette période de l’année, des espèces comme le capelan et le hareng frayent et peuvent représenter des proies clés pour le béluga de l’ESL (voir p. ex. Lesage et Kingsley 1995; examen dans Lesage et al. 2020). À l’heure actuelle, on dispose de peu d’information sur les habitudes alimentaires des bélugas de l’ESL. Le béluga de l’ESL s’alimente probablement tout au long de l’année, mais d’autres recherches sont nécessaires pour comprendre les habitudes saisonnières d’alimentation et d’engraissement selon l’âge. On pense que la reproduction a lieu à la fin de l’hiver ou au début du printemps chez le béluga de l’ESL, d’après la durée de la gestation (environ 14,5 mois) et le pic de la période de vêlage (de la fin juin à la mi-août) (Sergeant 1986; Michaud 2007; Hill et al. 2024). Les observations de la reproduction ou de la mise bas chez le béluga sauvage sont extrêmement rares (Hill et al. 2024); pour le béluga de l’ESL, un seul cas de ce qui semble être une femelle en train de mettre bas a été signalé (Béland et al. 1990b). Il n'y a pas d’habitat de reproduction ou de mise bas clairement définis, et nous ne pouvons pas déterminer les caractéristiques des habitats associées à ces activités. Dans la dernière évaluation, l’habitat de mise bas a été considéré 18 comme équivalent à l’aire de répartition où les femelles et les veaux peuvent être vus pendant l’été, qui a ensuite été désigné comme habitat essentiel de la population (MPO 2012). Étant donné que la répartition actuelle du béluga de l’ESL varie selon les saisons, mais qu’elle est surtout limitée à la partie estuarienne du réseau hydrographique du Saint-Laurent, nous pouvons affirmer que les bélugas utilisent cette région pour accomplir toutes leurs fonctions vitales importantes, comme la reproduction, le vêlage, le repos et l’alimentation. Dans cet habitat plus vaste, la ségrégation selon le sexe et l’âge typique de l’espèce a été documentée pour le béluga de l’ESL pendant l’été; les femelles accompagnées des juvéniles et des veaux utilisent principalement l’estuaire moyen, la partie sud de l’estuaire maritime et la rivière Saguenay, alors que les mâles adultes se tiennent essentiellement dans tout l’estuaire maritime et dans la rivière Saguenay (Michaud 1993; Ouellet et al. 2021). Une étude récente fondée sur un vaste ensemble de données sur le troupeau de bélugas (de 1989 à 2016) a confirmé la ségrégation selon l’âge et le sexe dans l’aire de répartition estivale de la population de juin à octobre (Ouellet et al. 2021), qui avait été établie à l’origine à partir d’un ensemble de données réduit des années 1980 et du début des années 1990 (Michaud 1993). Une certaine fidélité au site dans ces habitats selon le sexe ou l’âge a également été documentée récemment (Bonnell et al. 2022; 2024), rendant l’habitat accessible à des segments précis de la population qui pourraient être plus petits que ceux prévus en fonction de la répartition globale seulement. Les bélugas de l’ESL n’utilisent pas les habitats disponibles dans leur aire de répartition de façon égale. Des secteurs où le regroupement est constant de juillet à septembre (figure 4; Harvey et al. en prép.1) et des secteurs où la résidence est élevée de juin à octobre (Lemieux Lefebvre et al. 2012) ont été déterminés pour le béluga de l’ESL. Les secteurs déterminés à partir de ces deux sources de données sont très cohérents sur le plan spatial (voir Mosnier et al. 2010) et sont reliés par des corridors (Ouellet et al. 2021). La modélisation de l’habitat à l’aide des données sur la répartition à long terme et des caractéristiques environnementales n’a pas permis de déterminer les caractéristiques de l’habitat qui peuvent expliquer les profils d’occurrence des bélugas ou leur utilisation accrue de certains secteurs (Mosnier et al. 2016). Les changements bathymétriques et les caractéristiques océanographiques comme les masses d’eau, les fronts, les courants de marée tridimensionnels, la remontée et la plongée d’eau, de même que les tourbillons, sont probablement importants pour le regroupement de certaines proies des bélugas, comme les poissons pélagiques (Marchand et al. 1999; Simard et al. 2002), ou pendant leur transit entre les habitats (Ouellet et al. 2021). Cependant, l'absence de profils globaux des caractéristiques de l’habitat qui en déterminent l’utilisation n’est pas surprenante compte tenu de la diversité des proies qui peuvent être importantes pour le béluga (voir précédemment) et de l’hétérogénéité importante des caractéristiques de l’habitat associées aux regroupements de bélugas. Une importante mise en garde quant à la compréhension de l’utilisation de l’habitat, ainsi que des fonctions, des caractéristiques et des paramètres de l’habitat important pour le béluga de l’ESL est liée à la quasi-absence de données sur l’abondance des proies ou les changements de leur disponibilité (voir Mosnier et al. 2016). Plusieurs des secteurs de résidence élevée ou de regroupement constant sont situés dans l’ESL et le nord-ouest du GSL, où il n’y a pas d’obstacle clair aux déplacements. Cependant, certains secteurs de résidence élevée se trouvent dans la rivière Saguenay (Michaud et al. 1990; Lemieux Lefebvre et al. 2012). Bien que rien n’indique que les multiples traversiers qui circulent 24 heures sur 24 à l’embouchure de la rivière Saguenay constituent un obstacle complet aux déplacements des bélugas qui remontent la rivière Saguenay ou la descendent, il n’y a pas non plus de preuve que leur exploitation n’a pas d’effet mesurable sur l’utilisation de cette partie de leur habitat. L’environnement acoustique du béluga de l’ESL est loin d’être vierge, car il est soumis à un trafic maritime récurrent, dense à certains moments et à des endroits précis (Simard et al. 2010; 19 Aulanier et al. 2016; Chion et al. 2017; 2021; Chaire de recherche du MPO à l’ISMER-UQAR en acoustique marine appliquée à la recherche sur l’écosystème et les mammifères marins 2021). L’environnement acoustique du béluga de l’ESL est également hétérogène, avec des habitats généralement plus silencieux le long de la rive sud que le long de la rive nord, où la majeure partie du trafic maritime est concentrée (p. ex. McQuinn et al. 2011; Lesage et al. 2014b). Au confluent de la rivière Saguenay, où trois traversiers sont parfois exploités simultanément, les niveaux de bruit ambiant naturel (qui ont été définis comme équivalents à 96,1 dB re 1 µPa pour la bande de fréquences de 1 à 20 kHz) prévalaient < 10 % du temps au printemps et au début de l’été (Gervaise et al. 2012). Dans cette région, la portée potentielle des communications du béluga a également été réduite à un tiers de la portée disponible dans des conditions naturelles au moins la moitié du temps. L’embouchure de la rivière Saguenay est le secteur le plus bruyant de l’habitat du béluga (McQuinn et al. 2011), mais la portée potentielle de ses communications peut être considérablement réduite dans plusieurs autres secteurs de son habitat saisonnier (voir la figure 9; Simard et al. 2022). Bien que le bruit des bateaux et d’autres navires soit généralement le plus intense à basses fréquences, il peut également toucher la bande utilisée par les bélugas de l’ESL pour l’écholocalisation lorsqu’ils cherchent de la nourriture (Gervaise et al. 2012). Figure 9. Probabilité mensuelle que le bruit des navires réduise de moitié la portée de détection acoustique et de communication à 2 kHz en a) février; b) mai; c) août et d) novembre. La valeur de 2 kHz est la fréquence dans la bande des communications pour le béluga (c.-à-d. de 200 Hz à 20 kHz) où le facteur de réduction de la portée était le plus important. Étendue spatiale de l’habitat important Dans le cadre du programme de rétablissement de 2012, l’habitat essentiel du béluga de l’ESL a été défini comme l’habitat où des femelles adultes accompagnées de juvéniles et de veaux étaient présentes de juin à octobre (MPO 2012; voir la figure 4, contour noir). Cet habitat englobait les eaux de la rivière Saguenay jusqu’à l’île Saint-Louis, tout l’estuaire moyen à l’est des Battures aux Loups Marins, ainsi que la partie sud de l’estuaire maritime vers l’est jusqu’à proximité de Saint-Fabien-sur-Mer (juste à l’ouest de Saint-Simon) et de Portneuf. Étant donné que les données sur l’utilisation de l’habitat en dehors de cette période étaient insuffisantes, il 20 n’a pas été possible de répartir l’habitat essentiel par saison et il était considéré comme minimal en attendant la collecte de données supplémentaires (MPO 2012). Dans la dernière évaluation (Mosnier et al. 2010), la limite amont de l’habitat important dans la rivière Saguenay a été établie à partir d’une combinaison de relevés aériens et par bateau; ces derniers ont révélé certains profils de recherche restreints à une zone typiques du comportement d’alimentation dans les environs de l’île Saint-Louis (voir la figure 4, contour noir). Aucun renseignement supplémentaire ne permet de penser que cette limite devrait être modifiée (figure 4). De même, seuls de légers changements à la limite de l’habitat important dans l’estuaire moyen ont été jugés justifiés pour tenir compte des observations opportunistes répétées de bélugas dans le chenal au nord de L’Isle-aux-Coudres (figure 4). D’après les relevés aériens d’été, il se peut que les habitats situés dans la partie aval de l’aire d’été aient été utilisés plus intensivement ces dernières années (voir la section précédente; Harvey et al. en prép.1). Cette extension de l’utilisation de l’habitat s’applique aux femelles et aux veaux (Harvey et al. en prép.1) et peut-être à d’autres segments de la population, et justifie donc l’extension de l’habitat important du béluga de l’ESL le long de la rive sud pour inclure les habitats de l’estuaire maritime au moins jusqu’à Rimouski / Colombier, voire plus à l’est (figure 4). Les données sont également suffisantes pour exclure de l’habitat estival important les eaux peu profondes le long des rives nord et sud de l’estuaire maritime (voir la figure 4). L’habitat important des mâles adultes chevauche peu celui des femelles dans les eaux plus profondes du chenal Laurentien (Ouellet et al. 2021). Cet habitat presque exclusif aux mâles adultes est considéré comme un habitat important pour la population (figure 4), car il donne accès à d’autres habitats d’alimentation et à des espèces proie dans un contexte où les ressources alimentaires pourraient être limitées. Les mâles, quand ils se trouvent dans cet habitat, ont également peu de possibilités d’agresser les femelles et leurs veaux, un comportement documenté dans d’autres secteurs de l’aire estivale (R. Michaud, GREMM, données non publiées). Des quantités considérables de nouvelles données ont été acquises pour l’automne, l’hiver et le printemps. L’habitat qui pourrait être important pour le béluga de l’ESL est présenté ci-après pour les trois saisons. Cependant, les données n’ont été jugées suffisantes pour caractériser spatialement cet habitat que pour l’hiver, mais pas suffisamment pour être propres à des classes d’âge ou de sexe précises (voir la figure 8). En général, les relevés aériens saisonniers ont mis en évidence l’utilisation continue du cours inférieur de la rivière Saguenay (jusqu’au cap de la Boule) au moins pendant les mois d’automne et d’hiver (figure 5). Bien que le béluga ait été détecté dans les cours inférieur et supérieur de la rivière Saguenay pendant les relevés printaniers, il faut plus de données pour évaluer complètement l’importance de la rivière Saguenay pour le béluga de l’ESL à cette période de l’année. En octobre (figure 7) ou au moins en novembre et décembre (figure 6), les habitats de l’estuaire moyen perdent de leur importance en faveur de ceux qui sont situés dans l’estuaire maritime. Cependant, le béluga continue d’utiliser des habitats dans l’estuaire moyen, à l’est de La Malbaie / Kamouraska, bien qu’il se concentre principalement dans l’estuaire maritime, au moins jusqu’à Pointe-à-Michel / Les Méchins, à l’automne, et qu’il soit aussi présent dans le nord-ouest du GSL (tableau 1). Pendant l’hiver, l’estuaire maritime demeure l’habitat le plus important pour le béluga de l’ESL, mais la répartition s’étend jusqu’à sa limite est et au-delà de celle-ci dans le nord-ouest du GSL, au moins jusqu’à Sept-Îles / Rivière-à-Claude (figures 7 et 8; tableau 1; Harvey et al. en prép.1). Pour l’hiver, l’information a été jugée insuffisante pour exclure les eaux peu profondes de l’estuaire maritime de l’habitat important pour le béluga de l’ESL. La rivière Saguenay jusqu’au cap de la Boule est également considérée comme faisant partie d’un habitat important, étant donné que cette zone continue probablement de servir à l’alimentation. Comme à l’automne, 21 une partie de la population continue d’utiliser les habitats de l’estuaire moyen pendant l’hiver, en particulier ceux situés à l’est de La Malbaie / Kamouraska, bien que le béluga soit encore signalé jusqu’à L’Isle-aux-Coudres à cette période de l’année (figure 8; Harvey et al. en prép.1). La limite amont de cet habitat important n’a donc pas été modifiée pour la saison hivernale. Une augmentation de l’effort de relevé hivernal pourrait aider à déterminer l’uniformité de l’utilisation de l’habitat dans le secteur amont de l’estuaire moyen et dans le nord-ouest du GSL. Au printemps, probablement à partir du mois de mars, selon les données acoustiques (figure 7; Simard et al. 2023), l’estuaire moyen à partir des Battures aux Loups Marins semble revêtir une importance particulière pour la population (Harvey et al. en prép.1; Simard et al. 2023). La partie la plus à l’ouest de l’estuaire moyen est celle où plusieurs zones de forte densité et les occurrences les plus élevées des vocalisations sont documentées à cette période de l’année (figures 6 et 7; Simard et al. 2023; Harvey et al. en prép.1). Cela concorde avec les données historiques indiquant une présence accrue des bélugas à Rivière-Ouelle et près de L’Isle-aux- Coudres, sans doute en raison de la fraie du capelan et de l’éperlan dans ces secteurs, qui offre des possibilités de chasse aux bélugas (Casgrain 1873; Vladykov 1944). Néanmoins, la partie est de l’estuaire maritime, au moins jusqu’à Pointe-à-Michel / Le Bic, est également encore utilisée par une portion non négligeable de la population, dont une petite partie est toujours présente dans le nord-ouest du GSL (figure 6). Fonctions, caractéristiques et paramètres de l’habitat important Selon la « Directive pour la désignation de l’habitat essentiel des espèces aquatiques en péril » (MPO 2015), une fonction est un processus du cycle de vie qui se déroule dans l’habitat essentiel (p. ex. croissance, alevinage, alimentation et migration). Chaque fonction est le résultat d'une ou de plusieurs caractéristiques, qui constituent les composantes structurelles de l'habitat essentiel. Les caractéristiques peuvent changer au fil du temps et sont généralement composées d'un ou de plusieurs paramètres. Les paramètres sont les propriétés ou les attributs mesurables de la caractéristique. Ensemble, les paramètres permettent à la caractéristique de soutenir la fonction. On a observé ou présumé que les bélugas de l’ESL présentent divers comportements ou mènent des activités importantes comme l’alimentation, la socialisation, le repos, le vêlage, l’allaitement et le déplacement/la navigation pendant l’été. Ces activités, sauf le vêlage, se poursuivent probablement l’automne, l’hiver et au printemps. L’accouplement a sans doute lieu en mars-avril chez le béluga de l’ESL (Hill et al. 2024) et pourrait donc se produire n’importe où dans l’aire d’hiver ou de printemps de la population. Les fonctions, les caractéristiques et les paramètres de l’habitat important ont été définis en termes généraux dans le cadre de l’exercice de désignation de l’habitat essentiel en 2012 (MPO 2012). Le comportement de recherche restreint à une zone a été documenté dans divers secteurs de la répartition estivale des bélugas de l’ESL, notamment dans la rivière Saguenay (Lemieux Lefebvre et al. 2012). La recherche restreinte à une zone est souvent un signe d’alimentation (Fauchald et Tveraa 2003), mais elle peut également être associée à d’autres comportements comme la socialisation, le vêlage, etc. Peu de renseignements supplémentaires sont disponibles pour préciser la caractérisation de l’habitat ou pour confirmer les fonctions liées aux comportements de recherche restreinte à une zone observés, soit pour la période de juin à octobre, soit pour d’autres saisons (voir le tableau 2). Par exemple, les bélugas peuvent rencontrer des températures de l’eau allant du point de congélation à plus de 16 degrés Celsius dans le Nord (Leatherwood et al. 1988; Smith et al. 1994), mais on ignore leur tolérance pour des séjours prolongés dans des eaux chaudes. Le béluga peut également résister à des concentrations de glace allant jusqu’à 10/10 (Barber et al. 2001; Suydam et al. 2001), mais on ne sait pas s’il pourrait persister dans un environnement complètement libre de glace à long 22 terme. Les seuls renseignements supplémentaires disponibles à l’heure actuelle concernent la détermination des corridors reliant les habitats estivaux très utilisés (Ouellet et al. 2021). De ce fait, la liste des caractéristiques et des paramètres (tableau 2) est probablement incomplète et, pour la plupart des caractéristiques, les données sont également insuffisantes pour étayer la définition des paramètres quantitatifs. 23 Tableau 2. Fonctions, caractéristiques et paramètres de l’habitat importants pour le béluga de l’estuaire du Saint-Laurent. Saison Lieu Fonctions Caractéristiques Paramètres Juin à octobre Estuaire moyen (depuis les Battures aux Loups Marins), rivière Saguenay (jusqu’à l’île St-Louis), estuaire maritime (est jusqu’à Rimouski / Colombier) Mise bas, allaitement, alimentation, élevage des jeunes, repos, socialisation, connectivité de l’habitat, communication, navigation Eaux chaudes, relativement peu profondes et abritées Plage de température de l’eau appropriée Profondeur < 100 m Du point de congélation à 16 degrés Celsius (au moins pendant de courtes périodes) Janvier à mars Estuaire moyen (depuis les Battures aux Loups Marins), rivière Saguenay (jusqu’au Cap de la Boule), estuaire maritime (est jusqu’à Sept-Îles / Rivière-à-Claude) Accouplement, allaitement, alimentation, élevage des jeunes, repos, socialisation, connectivité de l’habitat, communication, navigation Couverture de glace appropriée Plage de température de l’eau appropriée Minimum inconnu; peut se produire dans les eaux où les concentrations de glace de mer atteignent 10/10 Du point de congélation à 16 degrés Celsius (au moins pendant de courtes périodes) Toute l’année - - Sources de nourriture Qualité de l’eau Environnement acoustique approprié Espace physique comprenant toute la colonne d’eau Refuge contre les prédateurs Processus océanographiques menant à une remontée d’eaux Proies (p. ex. capelan, hareng de l’Atlantique, lançon, éperlan arc- en-ciel, sébaste, morue, merluche) en qualité et quantité suffisantes Concentrations des contaminants chimiques dans les sédiments, les proies et le béluga inférieures au seuil des effets sur la santé Niveaux sonores ambiants naturels assurant l’intégrité de l’espace acoustique 24 Saison Lieu Fonctions Caractéristiques Paramètres froides riches en minéraux et très productives, y compris des fronts où les proies sont concentrées 25 ÉLÉMENTS 8, 9, 10 ET 11 : MENACES ET FACTEURS LIMITATIFS Les bélugas de l’ESL sont exposés à différentes menaces anthropiques, qui sont décrites en détail dans de récents rapports (MPO 2012; 2020; en prép.2; COSEPAC 2014; Lesage 2018; 2021). La liste détaillée des sources potentielles des diverses menaces recensées a également été produite dans une évaluation des menaces menée par le COSEPAC à la suite de l’examen et du rapport de 2014 (disponible directement auprès du COSEPAC). Un bref aperçu de chaque menace, y compris les sources d’incertitude, est présenté ci-après. Les menaces cernées dans le tout premier programme de rétablissement du béluga de l’ESL, publié en 1995 (Bailey et Zinger 1995), ont peu changé au fil du temps, bien que l’évaluation de leur gravité ait été mise à jour avec l’acquisition de nouvelles données scientifiques. Dans les examens les plus récents, dont la dernière évaluation du COSEPAC (2014), les menaces suivantes étaient les plus préoccupantes : 1) l’exposition chronique à des niveaux élevés de substances toxiques; 2) la perturbation des activités des bélugas et la détérioration de l’environnement acoustique associée aux projets de développement maritime et au trafic maritime; 3) la réduction de l’abondance, de la qualité et de la disponibilité des ressources alimentaires causée par la pêche, les changements climatiques ou la concurrence accrue; et 4) les autres pertes ou dégradations d’habitats (p. ex. dues à la mise en place d’infrastructures côtières ou maritimes, aux opérations de dragage, à l’introduction d’espèces exotiques). La récolte, qui était une menace dans le passé, n’est pas davantage prise en compte dans ce document, car elle a été interdite en 1979 en vertu de la Loi sur les pêches du Canada. Les risques posés par chacune de ces menaces sont évalués (tableau 3); les principales sources anthropiques de ces menaces sont également présentées (tableau 4). L’examen de 2013 de la situation des bélugas de l’ESL (MPO 2014b) a révélé une augmentation soudaine de la mortalité des femelles liée à la gestation et de la mortalité des nouveau-nés chez les veaux à partir de 2010 (Lesage et al. 2014a; Lair et al. 2014). À l’époque, cette tendance avait été attribuée à trois causes potentielles (voir l'examen complet dans Lesage 2021). Premièrement, le dichloroéthane polybromé (PBDE), une substance toxique qui peut causer des complications lors de la mise bas chez les femelles adultes (voir Lair et al. 2014 et les références qu’il contient), avait augmenté de façon exponentielle chez le béluga et son environnement dans les années 1990, et était depuis à un maximum historique dans les tissus du béluga (Lebeuf et al. 2014; Simond et al. 2017). Depuis 2000 environ, on a également observé une augmentation des activités d’écotourisme ciblant directement le béluga dans son habitat essentiel, qui pourraient avoir des effets perturbateurs sur la mise bas et l’allaitement (Ménard et al. 2014; Lair et al. 2016). Enfin, on soupçonne qu’un changement dans la structure de l’écosystème à la suite de l’effondrement des stocks de poissons de fond dans les années 1990 et du réchauffement inhabituel de l’écosystème qui a commencé vers 2000, a eu une incidence sur la disponibilité de la nourriture du béluga de l’ESL (Plourde et al. 2014; Lesage 2021). Le réchauffement des eaux et la réduction persistante de la couverture de glace saisonnière associée à ce changement environnemental, surtout depuis 2010, ont probablement rendu l’écosystème du Saint-Laurent moins propice à une espèce arctique comme le béluga (Plourde et al. 2014, Galbraith et al. 2023). Le plus récent examen de la situation (en 2023) indique que l’augmentation de la mortalité chez les femelles gestantes et les nouveau-nés, notée depuis 2010, s’est poursuivie au moins 2 DFO. 2024. Action plan for the Beluga Whale (Delphinapterus leucas), St. Lawrence Estuary population in Canada. Species at Risk Act Action Plan series. Fisheries and Oceans Canada, Ottawa. En préparation. 26 jusqu’en 2022 (Lesage 2021; Tinker et al. 2024; Larrat et al. en révision3). Les conditions extrêmement chaudes observées depuis 2010 ont également persisté (Galbraith et al. 2023). La coïncidence des dates et la persistance simultanée des deux phénomènes montrent que les conditions environnementales extrêmes sans précédent documentées depuis 2010 sont une cause probable de l’augmentation de la mortalité chez les femelles adultes et les veaux. Cependant, on ne comprend pas entièrement les mécanismes menant aux taux de mortalité élevés observés chez les femelles et les veaux et ils pourraient être indirects, p. ex. résulter d’effets sur l’état corporel des femelles adultes et sur le succès de la reproduction (Lair et al. 2016; Lesage 2021). Une étude des réserves de graisse des bélugas de l’ESL semble indiquer une détérioration de l’état corporel des bélugas de l’ESL entre 1998 et 2016 (Bernier-Graveline et al. 2021), accompagnée d’un changement de la composition du régime alimentaire (Lesage 2014). Chez d’autres mammifères, comme les vaches, le stress nutritionnel pendant le dernier semestre de la gestation augmente le risque de complications associées à la mise bas (Gruner 1973). Cependant, l’existence d’un stress nutritionnel à la fin de la gestation ou d’un lien entre une détérioration possible de l’état de santé des femelles gestantes et l’augmentation observée de la mortalité des veaux et des complications liées à la gestation chez les femelles, reste à établir (Lair et al. 2016). Un changement dans la disponibilité de la nourriture pourrait entraîner une détérioration de l’état corporel. On soupçonne que certaines espèces proie et certaines périodes d’alimentation sont critiques pour les femelles gestantes et allaitantes (Lockyer 1986; Jönsson 1997; Miller et al. 2011). Chez les bélugas en captivité, par exemple, l’apport alimentaire augmente de 1,5 à 4 fois par rapport à l’apport normal à la fin de la gestation et dans les premiers mois de lactation (Kastelein et al. 1994). Étant donné que la période de naissance des bélugas de l’ESL va de la fin juin au mois d’août (Sergeant 1986; Michaud 2007), la fin de la gestation interviendrait au printemps. Les rapports depuis les années 1800 décrivent le béluga de l’ESL comme une espèce qui accumule rapidement de la graisse au printemps (Casgrain 1873; Vladykov 1944). Ces observations concordent avec le fait que le printemps est une période d’alimentation critique pour cette population et soulignent l’importance d’une disponibilité adéquate de la nourriture à cette période de l’année et jusqu’en août-septembre (voir Lesage et al. 2020; Lesage 2021). Une meilleure compréhension de l’énergétique et du régime alimentaire saisonnier du béluga de l’ESL, ainsi que de la disponibilité et de la qualité des proies dans son habitat, aiderait à identifier les espèces clés selon la saison pour le béluga de l’ESL et à vérifier l’hypothèse d’une pénurie de nourriture. Une détérioration de l’état corporel peut également découler uniquement d’une augmentation de la dépense énergétique, et donc pas nécessairement d’une réduction de l'apport énergétique ou d’une pénurie de nourriture. Par exemple, une carence nutritionnelle peut résulter de réactions répétées d’évitement à la proximité des navires ou d’une réduction de l’efficacité de la recherche de nourriture induite par le bruit (Lusseau et Bejder 2007; Christiansen et al. 2015; Pirotta et al. 2015; Senigaglia et al. 2016; John et al. 2024). Dans des conditions alimentaires limitées ou pour les femelles ayant un veau dépendant, la capacité d’un individu à faire face à ces agents de stress pourrait être réduite davantage (p. ex. Williams et Loren 2009; Senigaglia et al. 2016). Par conséquent, bien qu’un effet d’origine alimentaire puisse être une explication très plausible de l’état corporel moins bon (Bernier-Graveline et al. 2021) et de la situation démographique actuelle du béluga de l’ESL, d’autres agents de stress peuvent également 3 Larrat. S, Lesage, V., Lair, S., Michaud, R. 2024. Relationship between nutritional condition and causes of death in beluga whales (Delphinapterus leucas) from the St. Lawrence Estuary, Quebec, Canada. Soumis pour publication. 27 contribuer aux défis auxquels cette population fait face dans son environnement changeant (Lesage 2021). Récemment, une hypothèse concurrente pour l’augmentation de la mortalité liée à la gestation chez les femelles (et les veaux nouveau-nés) a émergé (C. Sauvé, MPO, comm. pers.) et méritera d’être examinée attentivement. L’écosystème de l’ESL connaît des conditions particulièrement chaudes depuis 2010. Les bélugas sont probablement mieux adaptés à un environnement froid qu’à un environnement extrêmement chaud. On ne peut donc exclure le fait que certaines femelles qui ont un travail particulièrement intense ou prolongé ont pu mourir d’une rhabdomyolyse provoquée par l’effort ou d’autres conditions physiologiques causées par une défaillance de la thermorégulation pendant la mise bas. Menaces Polluants (air, eau, sédiments, proies) – La population de bélugas de l’ESL vit en aval des Grands Lacs et d’autres régions fortement industrialisées. Bien que certaines espèces proie du béluga migrent de ces zones et, par conséquent, agissent probablement comme des vecteurs de contamination, les polluants pénètrent généralement dans l’habitat du béluga par l’eau et les sédiments transportés depuis les habitats en amont, et par les bélugas eux-mêmes lorsqu’ils ingèrent leurs proies. Le programme de rétablissement du béluga de l’ESL de 2012 présente un examen très complet des principaux types de contaminants auxquels le béluga de l’ESL est ou a été exposé au cours des dernières décennies (voir l’annexe 2 dans MPO 2012). Parmi ces composés, on trouve plusieurs polluants organiques persistants très préoccupants pour le béluga de l’ESL, comme les biphényles polychlorés (BPC), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et les PBDE, ainsi que certains métaux comme le mercure (Hg), le plomb (Pb) et le cadmium (Cd). Bien que les HAP et les BPC aient été réglementés avant que des préoccupations soient soulevées au sujet de leurs effets potentiels sur les bélugas de l’ESL, d’autres composés toxiques ont été introduits dans l’environnement dans les dernières décennies. Certains d’entre eux, comme les BPDE et les paraffines chlorées, ont depuis été réglementés. D’autres, toutefois, comme les substituts aux PBDE, les antioxydants industriels et les absorbeurs UV, de même que plusieurs classes de substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), demeurent en grande partie non réglementés et ont été décelés à des niveaux préoccupants chez le béluga de l’ESL (Simond et al. 2017; 2023; Barrett et al. 2021; Blouin et al. 2022). Des données sont disponibles sur les tendances à long terme pour certains de ces composés chimiques chez le béluga de l’ESL ou son habitat (p. ex. les BPC et les PBDE), mais ces données sont beaucoup plus rares pour les HAP et la plupart des métaux. Bon nombre de ces substances chimiques ont des effets nocifs sur la reproduction et le développement, ainsi que sur les systèmes endocrinien et nerveux d’un éventail d’espèces (p. ex. Costa et al. 2014; Yu et al. 2015), ou peuvent provoquer un changement du microbiome cutané (Jia et al. 2022). Les métaux comme le Hg, le Cd et le Pb peuvent être particulièrement nocifs, car ils peuvent endommager la fonction immunitaire (Wong et al. 1992; Bernier et al. 1995; De Guise et al. 1996). En général, cependant, les renseignements sur de nombreuses substances chimiques sont largement insuffisants pour les niveaux auxquels des effets nocifs sont observés chez le béluga ou d’autres cétacés. Toutefois, les concentrations de certains contaminants toxiques préoccupants (les BPC et les PBDE) chez les bélugas de l’ESL approchent ou dépassent les seuils d’effets sur la santé des mammifères marins (Noël et Brown 2021). De plus, les concentrations des BPC, des PBDE, des pesticides organochlorés et de leurs sous-produits, ainsi que de certains nouveaux ignifugeants halogénés ont été corrélées avec les concentrations d’hormones ou l’expression génétique liée à la thyroïde et aux stéroïdes, et certains ont également une incidence sur le métabolisme des lipides (Simond et al. 28 2019; 2020; 2022; Jolicœur et al. 2024). Certains sont également soupçonnés d’induire l’immunosuppression et d’être responsables de la gravité, de la prévalence élevée et de la diversité des lésions observées chez les bélugas de l’ESL (De Guise et al. 1994; 1995; 1996; Martineau et al. 1994; De Guise 1998; Lair et al. 2016). Les HAP, en particulier, provenant des alumineries, ont été soupçonnés d’être responsables des taux élevés de cancer documentés chez la population de bélugas de l’ESL (Martineau et al. 2002). Une étude récente des adduits HAP-ADN dans l’intestin du béluga a confirmé cette hypothèse (Poirier et al. 2019). La diminution observée de l’incidence de la néoplasie chez les bélugas de l’ESL nés après 1971 (Lair et al. 2016), aucun cas n’ayant été signalé depuis 2011 (S. Lair, comm. pers.), parallèlement à la cessation des émissions de HAP en 1976, étaye fortement une telle relation. L’interdiction des BPC en 1979, qui a réduit les charges de BPC chez les bélugas au fil du temps (Lebeuf et al. 2014), pourrait également avoir contribué à la disparition observée de certaines maladies néoplasiques (Martineau et al. 2002; Lair et al. 2016). Dans l’ensemble, ces résultats indiquent que les mesures réglementaires visant à réduire les rejets de substances toxiques et l’exposition des bélugas à ces substances peuvent avoir des effets mesurables sur la santé des bélugas. Perturbations acoustiques et physiques – Les effets potentiels d’une exposition chronique à des niveaux de bruit élevés et à des perturbations répétées des activités normales des mammifères marins sont une préoccupation à l’échelle mondiale (Clark et al. 2009; Boyd et al. 2011; Williams et al. 2015). Le masquage des vocalisations et des signaux acoustiques importants, la réduction de l’espace acoustique, le détournement de l’attention, la perturbation du comportement naturel, l’accoutumance (c.-à-d. surdité acquise) et le stress chronique peuvent interférer avec les activités normales (Clark et al. 2009; Erbe et al. 2016; 2019), limiter l’énergie et le temps consacrés aux activités critiques comme l’alimentation ou nuire aux interactions sociales (Tyack et Clark 2000). Diverses sources anthropiques peuvent avoir de tels effets, notamment la navigation, les opérations des traversiers, l’observation des baleines, la navigation de plaisance (motorisée ou non), les activités de recherche et les projets de développement maritime. Des études récentes indiquent que l’interférence n’est pas seulement liée au bruit émis, mais qu’elle peut aussi découler de la présence physique de ces sources (Pirotta et al. 2015). Les menaces posées par le bruit et les perturbations physiques pour les bélugas de l’ESL sont examinées en détail ailleurs (MPO 2018; 2020; Lesage 2021) et ne sont résumées que brièvement ici. En général, cependant, les séquences des effets de l’exposition au bruit vers des impacts mesurables sur la santé, la reproduction ou la survie demeurent mal comprises. L’évaluation des effets à long terme à partir de mesures (souvent) à court terme sur les espèces soumises à de multiples agents de stress pose de nombreux défis (voir Pirotta et al. 2015; 2019; 2022; 2023; Williams et al. 2006). Le trafic maritime et les autres activités ou infrastructures nautiques ont des effets démontrés sur les bélugas de l’ESL. Il a été prouvé que les niveaux élevés de bruit réduisent l’espace acoustique des bélugas de l’ESL ou masquent leurs vocalisations dans des secteurs comme le chenal Laurentien, l’embouchure de la rivière Saguenay ou leur habitat dans ces zones (p. ex. figure 8; Gervaise et al. 2012; Vergara et al. 2021). Par exemple, dans un habitat clé pour le béluga de l’ESL (baie Sainte-Marguerite, dans la rivière Saguenay), on a constaté que le bruit des navires réduisait la portée des communications des adultes et des sous-adultes d’une médiane de 6,7 km à 2,9 km, et celle des nouveau-nés d’une médiane de 360 m à 170 m (Vergara et al. 2021). Des constatations semblables indiquant le masquage partiel ou complet des vocalisations de communication courantes ont également été documentées pour les bélugas de Cook Inlet exposés à des navires commerciaux (Brewer et al. 2023). Il a également été démontré que le trafic maritime, y compris les activités d’observation des baleines, modifie le comportement vocal et les habitudes de plongée des bélugas de l’ESL (Blane et Jaackson 1994; Lesage et al. 1999; Scheifele et al. 2005), avec des réactions à grande vitesse aux 29 perturbations qui réduisent de façon marquée la capacité d’immersion prolongée de la baleine (John et al. 2024). Bien que les perturbations chroniques puissent influer sur l’utilisation de l’habitat, on ne les observe pas aussi fréquemment. Toutefois, on soupçonne fortement que l’abandon de la baie Tadoussac par les bélugas de l’ESL après la construction de la marina est la conséquence des perturbations causées par l’augmentation du trafic maritime et l’exposition au bruit (Pippard 1985). Le fleuve Saint-Laurent représente la principale voie maritime jusqu’à l’intérieur de l’Amérique du Nord et plusieurs milliers de navires transitent chaque année par l’habitat du béluga de l’ESL (Simard et al. 2010). Ce trafic, combiné à différents traversiers et à l’industrie de l’observation des baleines qui génère des millions de dollars et qui est également exploitée toute l’année ou de façon saisonnière dans cette région, accroît de façon chronique les niveaux de bruit ambiant dans l’habitat du béluga de l’ESL (Simard et al. 2010; McQuinn et al. 2011; Simard et al. 2014; Gervaise et al. 2015). L’exposition des bélugas à ces activités et au bruit qu’elles génèrent varie selon les saisons et les habitats. Le trafic maritime et les activités d’écotourisme axées sur les bélugas (même si ces dernières sont interdites) culminent en juillet et en août, lorsque les bélugas de l’ESL donnent naissance (Sergeant 1986). Les niveaux de bruit et le trafic maritime sont actuellement les plus élevés près de la voie de navigation et à l’embouchure de la rivière Saguenay, où se trouvent une marina et la plupart des entreprises d’observation des baleines (McQuinn et al. 2011). L’exposition au bruit est la plus faible dans les habitats situés le long de la rive sud, où la circulation de toutes les sources est actuellement faible (McQuinn et al. 2011; Lesage et al. 2014b; Roy et Simard 2015). Cependant, les entreprises d’observation de la nature qui ciblent particulièrement le béluga, ainsi que les activités récréatives, ont augmenté dans l’habitat essentiel du béluga de l’ESL le long de la rive sud de l’estuaire moyen (Ménard et al. 2014), et certaines interactions entre un béluga et un bateau ont mené à des poursuites judiciaires de la part du MPO. Des initiatives comme la Stratégie maritime du gouvernement du Québec (maintenant Avantage Saint-Laurent : Avantage Saint-Laurent – Transports et Mobilité durable Québec (gouv.qc.ca)) ou l’exploitation minière dans le cours supérieur de la rivière Saguenay (p. ex. MPO 2018) vont sans doute intensifier le trafic actuel en raison des nouveaux aménagements portuaires et augmenter les niveaux de bruit ambiant dans ces secteurs plus silencieux de l’habitat essentiel du béluga de l’ESL. Perturbation ou destruction de l’habitat – L’abandon de la baie Tadoussac après la construction de la marina est un exemple de destruction potentielle de l’habitat. La construction de barrages sur la rivière Manicouagan pour l’exploitation hydroélectrique et la modification connexe des caractéristiques physicochimiques et biologiques de la région peuvent également avoir entraîné l’abandon de la région par les bélugas, bien que la surexploitation ne puisse être écartée comme cause de ce dernier phénomène (Pippard 1985). Ces deux exemples sont certes extrêmes, mais diverses autres activités humaines ont le potentiel de détruire ou de perturber l’habitat du béluga de l’ESL, physiquement ou acoustiquement, comme il est indiqué précédemment. Celles qui peuvent avoir une incidence physique sur l’habitat sont notamment les pêches et les activités liées aux projets de développement côtier et extracôtier. Toutes les pêches pratiquées à l’intérieur ou à l’extérieur de l’habitat du béluga de l’ESL et ciblant les proies du béluga, dérangeant le benthos ou supprimant directement ou indirectement des espèces importantes pour le béluga ou ses proies, peut perturber l’habitat d’alimentation, influer sur la disponibilité de la nourriture ou réduire le succès d’alimentation. Les projets d’aménagement qui comportent l’excavation, le dragage et l’ajout de matériaux ou de structures dans l’eau peuvent réduire l’accès à l’habitat ou modifier ses caractéristiques physicochimiques, ce qui a des répercussions sur la disponibilité des éléments nutritifs et de la nourriture. https://www.transports.gouv.qc.ca/fr/ministere/role_ministere/avantage-st-laurent/Pages/avantage-st-laurent.aspx https://www.transports.gouv.qc.ca/fr/ministere/role_ministere/avantage-st-laurent/Pages/avantage-st-laurent.aspx 30 Réduction de la disponibilité de la nourriture – L’effondrement, dans les années 1990, de plusieurs stocks de poissons exploités commercialement (Worm et Myers 2003; Savenkoff et al. 2007; Cairns et al. 2014) et l’augmentation des populations de concurrents potentiels, comme le phoque gris (Halichoerus grypus), le phoque du Groenland (Pagophilus groenlandicus) et le phoque commun (Phoca vitulina) (Hammill et al. 2015; Stenson et al. 2020, Mosnier et al. 2023) ou le bar rayé (Morone saxatilis; Valiquette et al. 2017) ont modifié la trophodynamique de l’écosystème (Savenkoff et al. 2007), avec des conséquences possibles sur la disponibilité de la nourriture pour le béluga de l’ESL et d’autres espèces. Le réchauffement climatique depuis le début du XXI e siècle a réduit la couverture de glace et modifié les caractéristiques, la stratification et la circulation des masses d’eau (Jutras et al. 2020, Galbraith et al. 2023), avec des effets mesurables sur la biomasse et la teneur en énergie de diverses composantes de l’écosystème du Saint-Laurent, dont des espèces fourragères (p. ex. Helenius et al. 2023). Ces conditions ont atteint des extrêmes presque chaque année depuis 2010 (Galbraith et al. 2023). Les bélugas de l’ESL ont un régime alimentaire varié, composé de poissons et d’invertébrés généralement < 30 cm de longueur (Vladykov 1946; Lesage et al. 2020). La composition du régime alimentaire diffère entre les mâles et les femelles adultes, comme on pouvait s’y attendre compte tenu de la ségrégation sexuelle observée au moins pendant l’été (Lesage 2014; Lesage et al. 2020). Les analyses d’isotopes stables ont permis d’estimer un changement dans le régime alimentaire des bélugas de l’ESL depuis le début des années 2000, bien que l’on n’ait pas encore déterminé les espèces responsables de ce changement (Lesage 2014). On a remarqué que les rorquals communs (Balaenoptera physalus) échantillonnés dans l’ESL cherchent à diversifier leurs ressources alimentaires à peu près à la même période (Cabrol et al. 2021). Ces changements coïncidaient avec le réchauffement du système qui a commencé vers 2000 (Plourde et al. 2014). Entre-temps, la concentration des acides gras essentiels dans la graisse des bélugas de l’ESL a diminué entre 1998 et 2016, laissant entendre une détérioration de l’état corporel (Bernier-Graveline et al. 2021). On ne sait pas avec certitude si le changement observé dans le régime alimentaire des bélugas résulte d’une réduction de l’apport énergétique ou de la disponibilité de la nourriture due à la concurrence intraspécifique ou interspécifique, d’une réduction de l’abondance globale des proies, d’une augmentation de la dépense énergétique ou d’une combinaison de ces facteurs (Bolnick et al. 2003; Svanbäck et Bolnick 2007; Araújo et al. 2011). Les conditions extrêmement chaudes depuis 2010 peuvent avoir exacerbé les effets sur les diverses composantes de l’écosystème, amenant l’ESL à un point où les effets sont devenus mesurables sur la reproduction des femelles adultes et la survie des veaux (Tinker et al. 2024). Ces changements du succès de la reproduction du béluga de l’ESL font écho aux changements observés dans la dynamique des populations et la répartition d’autres cétacés utilisant l’écosystème du Saint-Laurent, comme le rorqual commun, le rorqual à bosse (Megaptera novaeangliae) et la baleine noire de l’Atlantique Nord (Eubalanea glacialis), dénotant également un changement dans la trophodynamique et la disponibilité de la nourriture (Meyer-Gutbrod et al. 2015; Schleimer et al. 2019; Kershaw et al. 2020). Déversements de substances toxiques – Il y a eu très peu de déversements de substances toxiques importantes dans le Saint-Laurent avant 2000, la plupart ayant eu lieu dans des ports (Villeneuve et Quilliam 1999); les données postérieures à 2000 sont disponibles sur le site Web du Bureau de la sécurité des transports du Canada, mais n’ont pas été compilées sous une forme utilisable (mais voir Ryan et al. 2019). La présence de marées et de courants forts, la couverture de glace saisonnière et un brouillard fréquent dans l’ESL et le GSL augmentent le risque de déversements toxiques. Le fleuve Saint-Laurent et le GSL font partie des zones où la probabilité d’un déversement important est la plus élevée au Canada (WSP Canada Inc. 2014). Étant donné que la zone occupée par le béluga de l’ESL est limitée, une grande proportion de 31 la population et de son habitat pourrait être exposée à un déversement toxique (Peterson et al. 2003; Desjardins et al. 2018). Ainsi, même si la probabilité d’un déversement important est faible, les répercussions pourraient être graves. Toutefois, les conséquences sur la santé et l’habitat des bélugas dépendent en grande partie du type de polluant, du volume et de l’étendue spatiale du déversement, ainsi que des conditions météorologiques ou environnementales pendant le déversement. Les effets sur le béluga peuvent se produire par contact direct avec la peau, par inhalation ou par ingestion du polluant ou de la proie contaminée (p. ex. Loughlin 1994; Matkin et al. 2008). Certains polluants peuvent couler au fond et devenir une source persistante de contamination pour les bélugas, qui sont des consommateurs connus de proies benthiques (Vladykov 1946; Lesage et al. 2020). Empêtrement – Le béluga n’a pas de nageoire dorsale, ce qui réduit probablement sa vulnérabilité aux empêtrements. Toutefois, le principal facteur limitant cette menace pour le béluga de l’ESL est la rareté de l’activité de pêche dans son habitat. La pêche est importante dans le GSL, mais elle se déroule pour l'essentiel en aval de l’habitat du béluga pendant l’été ou est réduite à un faible niveau ou absente pendant les périodes où le béluga de l’ESL étend sa répartition dans l’est de l’ESL et le nord-ouest du GSL. Sur les 291 carcasses examinées entre 1983 et 2022, les décès de deux bélugas seulement (0,7 %) ont été attribués à l’activité de pêche (Lair et al. 2014; Larrat et al. en révision3). Un veau s’est noyé après s’être empêtré dans un filet à hareng et un adulte est mort après s’être retrouvé empêtré par la nageoire de la queue dans une palangre. L’identification photographique à long terme des bélugas nageant librement n’a pas permis de déterminer des interactions avec les engins de pêche; une inspection du corps entier et des appendices des bélugas serait néanmoins nécessaire pour le confirmer (Le Net et al. 2021). Collision avec un navire – Le béluga est un petit cétacé qui manœuvre très facilement, doté d’une ouïe très directionnelle et d’un sonar sophistiqué (Turl et al. 1987; Castellote et al. 2014; Zahn et al. 2021). Il n’est ainsi pas vulnérable aux collisions avec des navires qui se déplacent en ligne droite ou à des vitesses relativement basses, comme les navires marchands. Toutefois, il peut être plus susceptible d’entrer en collision avec des navires effectuant des mouvements irréguliers ou se déplaçant à de grandes vitesses. Entre 1983 et 2022, on soupçonne que les collisions avec un navire ont été la principale cause du décès de neuf des 291 bélugas examinés (3,1 %; Lair et al. 2016; S. Lair, données non publiées). On ne sait pas si ce pourcentage est biaisé négativement; rien n’indique que les victimes d’une collision avec un navire avaient une plus faible probabilité d’être récupérées par le progr